Eté 2022 : rétrospective d’une mobilisation hors norme
Intense. Unique. Exceptionnel. Hors norme. Les mots ne manquent pas pour qualifier l’été qui vient de s’écouler pour bon nombre de forestiers. Depuis le 1er janvier 2022, plus de 8500 feux se sont déclarés en France hexagonale, dévorant près de 63 000 hectares de forêt française.
De la région méditerranéenne, au sud-est, jusqu’au littoral Girondin dans le sud-ouest ; sans épargner les forêts bretonnes, à l’ouest. Plus au nord dans les forêts normandes, mais aussi à l’est, au cœur des forêts vosgiennes et dans les massifs escarpés et vallonnés de la montagne jurassienne. Cette année, les flammes ont touché les quatre coins de l’hexagone, franchissant sans faiblir les frontières longtemps historiques du sud-est de la France. 52 départements ont connu un incendie de végétation parcourant au moins 10 hectares.
En cause ? Le changement climatique, certainement. Les imprudences humaines, les accidents ou les actes de malveillances, assurément. Entre la chaleur et l’absence de précipitations, la teneur en eau des végétaux était au plus bas, entraînant un dessèchement foliaire, des chutes de feuilles ou d’aiguilles et parfois, in fine, la mortalité de certains ligneux. Un niveau de sécheresse extrême qui offrait aux flammes une forêt sensible, presque anormalement combustible. Dans ce contexte, la moindre étincelle, volontaire ou accidentelle, peut conduire à des situations dramatiques.
Techniciens forestiers, conducteurs d’engins, responsables d’unités territoriales, agents de protection de la forêt méditerranéenne, agence DFCI, équipes de surveillance, patrouilles de police renforcée… À l’ONF, de nombreux collaborateurs n’ont compté ni leur temps ni leur énergie pour faire face à cette situation exceptionnelle. En appui des secours et grâce à leur expertise de la forêt, ils ont guidé les pompiers, créé des pare-feu, sécurisé les zones évacuées, endigué des feux naissants. De jour comme de nuit, dans le respect de leur métier et par amour pour la forêt, ils ont tout mis en œuvre pour lutter contre les incendies.
“Nous venons de vivre une saison estivale sans précédent. Les feux, d’une durée et d’une puissance inédites, ont sévi à des endroits où on ne les attendait pas. Avec près de 63 000 hectares de forêt brûlés, soit près de six fois la moyenne des dernières décennies, nous entrons dans une phase nouvelle. Et, pour la première fois, cela ne concerne pas seulement le sud-est du pays : un quart des incendies ont eu lieu dans la moitié nord de la France.
Bilan des incendies en France hexagonale depuis le 1er janvier 2022.
- 62 883 hectares de végétation parcourus par les incendies, dont 1 450 hectares en forêts domaniales et 2 090 hectares en forêts communales. C’est 1 million de tonnes de CO2 rejetées dans l'atmosphère (l'équivalent de l'empreinte carbone de 100 000 français).
- 8 550 incendies déclarés sur l’ensemble du territoire depuis le début de l’année.
- 56 forêts publiques relevant du régime forestier ont été touchées, soit 18 forêts domaniales et 38 forêts communales.
La Gironde sous les flammes
Au cours de l’été le plus chaud jamais enregistré en Europe, la Gironde a dû faire face à l’un des pires incendies de son histoire. Caroline, François, Francis et Bruno font partie des dizaines de forestiers de l'ONF qui se sont mobilisés en appui des secours. Ils ont accepté de nous raconter cet événement historique. Récit et témoignages.
Nous sommes le 12 juillet 2022. Il est 15h lorsque le premier feu est déclaré dans le secteur de La Teste-de-Buch, près d'Arcachon. Une heure plus tard, sur la commune de Landiras, deux incendies virulents commencent eux aussi leur cavale. Mais personne n’imagine alors le tournant que va prendre cette journée.
Vents tourbillonnants, hausse des températures… Les conditions météorologiques sont défavorables et le terrain sableux ralentit la progression des secours. Les flammes sont alimentées par une végétation sèche et la chaleur caniculaire n'aide pas. Les incendies changent de direction au gré du vent et atteignent des zones difficiles d’accès pour les secours. Les feux progressent… Et les forêts partent en fumée.
“Cette catastrophe était aussi exceptionnelle humainement qu’elle a été désastreuse pour la forêt. Élus, secours, forestiers, citoyens… Tous les acteurs locaux ont été présents, réactifs, solidaires. Nous avons travaillé main dans la main(...) De tels événements sont marquants. Après les feux, le regard que l’on porte sur la forêt est différent.
Rapidement, un poste de commandement est établi. Autour de la table: pompiers, forces de l’ordre, équipes de l'ONF, services techniques des collectivités… Les forestiers suivent l’avancée des flammes et guident les pompiers sur les zones de feu grâce à leur connaissance du terrain et de la végétation.
Alors que l’incendie prend de l’ampleur, le commandement des opérations de secours (COS) décide de la mise en place de pare-feu. De jour, de nuit, les équipes s’organisent pour travailler en roulement. L’objectif: créer des limites pour contenir les flammes et épargner certaines zones. Au poste de commandement, les forestiers de l'ONF font le lien avec les directives des secours et les équipes sur le terrain.
Pour en apprendre plus sur la création de ce pare-feu
Les forêts brûlent, des campings du littoral sont détruits et l’odeur des fumées se fait sentir jusqu’à Bordeaux. On parle maintenant de méga-feux. Le 20 juillet 2022, entre l’océan Atlantique et le lac de Cazaux, la création d’un pare-feu de 300 mètres de large sur près de 5 kilomètres de long est ordonné pour protéger Biscarrosse, la troisième ville la plus peuplée des Landes.
Abattre, découper, broyer, évacuer. Il faut dégager toute manifestation de végétation pour empêcher le feu d’atteindre la forêt et les agglomérations landaises. «Le sable devait être mis à nu pour qu’il n’y ait pas d’étincelles», résume Mathieu Desmartis, responsable de l’unité de production à l’ONF, en charge de la coordination des travaux entre les entreprises privées et les acteurs publics sur le pare-feu géant.
Au sol, face aux flammes, près de 2 000 pompiers luttent avec acharnement. Dans les airs, les bombardiers Canadair larguent 10 000 litres d’ignifuge sur les fronts de feu. Plus loin, des dizaines de forestiers et plus de 60 engins de travaux sont à l’œuvre pour créer des pare-feu. Abatteuses, pelles mécaniques, débardeurs, bulldozer, broyeurs… le ballet tragique des engins est incessant. Le chantier est pharaonique. Les journées se suivent, sans accalmie. Il faudra près de 10 jours pour maîtriser ce monstre de flammes.
“J’étais en avant-garde avec, derrière moi, un bulldozer et deux pelles mécaniques. Mon rôle était de pousser et de broyer la petite végétation. Derrière, les autres engins coupaient les arbres et creusaient la tranchée pour enterrer les souches. Le feu était à 2 km du chantier. On m’a donné 36 h pour dégager ma zone.”
Début août, le feu est maîtrisé. Dans un paysage dévasté, jalonné de fumerolles, le feu sommeille dans la tourbe. Pour que les secours puissent intervenir rapidement en cas de reprise, il faut délimiter les zones brûlées et ouvrir des pare-feux. Le SDIS (Service Départemental d'Incendie et de Secours) sollicite l’ONF pour l’encadrement des chantiers. En parallèle, l’Office national des forêts fait l’inventaire des travaux réalisés et les forestiers commencent à réfléchir à l’exploitation des bois brûlés avec la direction commerciale bois et services. La stratégie en première intention? Laisser un maximum de vert pour donner ses chances à la régénération naturelle.
Aujourd’hui, on estime à 80 000 m3 le bois à exploiter d’ici le 31 décembre. Un défi pour les équipes de l'ONF qui vont devoir extraire rapidement les arbres afin d’éviter l’installation de parasites envahissants, comme les scolytes. Les bois exploités partiront pour 30 % en bois d’industrie (papier, panneaux de particules, charbon actif…) et pour 70 % en bois d’œuvre (palettes, sciages, parquets…).
Au total, 32 000 hectares de forêt sont partis en fumée en Gironde durant l’été 2022. Avec 13 800 hectares brûlés, l’incendie de Landiras est le 2ème plus grand feu de l’histoire de France, derrière l’incendie de la forêt des Landes de 1949.
DFCI, vers une extension de la prévention et de la lutte?
La défense des forêts contre les incendies (DFCI), qui est une préoccupation permanente et installée dans la région méditerranéenne, s’étend aujourd’hui à l’ensemble du territoire. Après un été hors norme, cette mission d’intérêt général confiée par l’État s’ouvre plus que jamais à de nouvelles perspectives.
Historiquement, le terrain de la défense des forêts contre les incendies, c’est la zone «prométhée», autrement dit 15 départements du sud-est de la France. Mais depuis quelques années, partout en région, les forestiers de l'ONF sont de plus en plus confrontés à la problématique des incendies de forêts.
Depuis deux ans, dans le cadre d’une meilleure prise en compte de ce risque dans la gestion des forêts publiques, l’Office national des forêts a créé un réseau de référents DFCI couvrant tout l'Hexagone. Ces équipes acculturées à la gestion du feu en forêt et formées à la lecture des indices météo, ont notamment pour mission de coordonner les actions en forêt publique, de mettre en place des partenariats locaux et d’initier d’éventuelles procédures d’urgence. En cas de crise, ils sont appuyés par la direction de l’agence DFCI Midi-Méditerranée. Le dispositif, particulièrement éprouvé cet été, a permis aux référents DFCI d’orienter le plus efficacement possible les équipes locales dans la lutte contre les incendies.
Le domaine de la prévention des feux de forêt est un processus d’amélioration continue. L’expérience inédite vécue cette année doit permettre à l’ONF d’adapter ses stratégies et solliciter des moyens complémentaires. La saison à peine terminée, les équipes réfléchissent déjà à l’an prochain.
La défense des forêts contre les incendies à l’Office national des forêts c’est…
- 35 experts à la direction territoriale Midi-Méditerranée
- 170 agents de protection de la forêt méditerranéenne
- 63 référents dont 15 au niveau des directions territoriales et 48 en agences territoriales
- 3 spécialistes (2 en Corse et 1 à la Réunion)
Cette année, nous avons constaté toute la pertinence de l’acculturation aux feux que nous menons depuis deux ans auprès des équipes en région. Même si nous ne sommes jamais préparé à une saison comme celle que nous venons de vivre, les référents DFCI ont été très actifs et efficaces. Dans le sud comme ou dans les autres régions, nous avons un réseau très impliqué ; c’est un plaisir de travailler ensemble.
Des retours d’expérience par direction territoriales et inter-directions territoriales vont ainsi être organisés cet automne. Ils devraient permettre d’identifier les aspects positifs et les axes d’amélioration du dispositif pour les saisons estivales à venir.
L’extension éventuelle des moyens concernant la Mission d’intérêt général de Défense des forêts contre les incendies (MIG DFCI) est, elle, entre les mains des services de l’État. Le 20 juillet dernier, lors de son déplacement en Gironde, le président Emmanuel Macron annonçait, lors d’une conférence de presse, la mise en place d’un chantier national pour replanter la forêt dévastée par les flammes. Une réflexion sera également engagée sur une extension du dispositif opérationnel de prévention du Sud-Est. Les besoins, comme les attentes, sont nombreux.
D’ici l’annonce d’une position officielle, toutes les équipes de l’Office national des forêts continuent de se mobiliser, avec engagement, passion et responsabilité, pour assurer la restauration des forêts touchées et l’avenir de toutes celles désormais exposées aux risques d’intensification des feux de forêt.
La DFCI et la prévention des risques d’incendies de forêts: des grandes missions d’intérêt général confiées à l’ONF.
L’Office national des forêts assure pour le compte de l’État :
• des missions d’intérêt général (MIG) sur la défense des forêts contre les incendies (DFCI) confiées par le ministère en charge des forêts ;
• des missions de prévention des risques d’incendie de végétation confiées par le ministère en charge de l'écologie.
À ce titre, les équipes DFCI sont chargées, toute l’année :
- d’aménager et d’entretenir les équipements DFCI (pistes et points d’eau en forêt) grâce au débroussaillement;
- de détecter les départs d’incendie, réaliser les premières interventions sur feux naissants et orienter les secours, en période de risques;
- de participer à la prévention des incendies de végétation et forêt via l’information et la sensibilisation des acteurs locaux et du grand public, ou l’appui à la mise œuvre des actions de débroussaillement.
En cas de feu de forêt:
- l’ONF soutient le commandant des opérations de secours (COS);
- et après l'incendie, l’ONF peut apporter son expertise lors d’enquêtes sur l’origine des feux, réaliser des travaux d’urgence pour limiter les risques ou orienter les études de reconstitutions écologiques.