Noirmoutier, une forêt les pieds dans le sable
"Je viens à Noirmoutier, c'est un coin admirable, beau comme le Midi avec une mer autrement plus belle que la Méditerranée", aurait déclaré le peintre Renoir en 1892 lorsqu’il est venu sur l’île peindre le tableau éponyme. C’est le bois de la Chaise, plus ancien et plus petit bois de l’île, qui l’aurait inspiré. Ce dernier continue d’être aujourd’hui le rendez-vous des peintres, professionnels ou amateurs pour la singularité de son paysage.
Situé au nord-est de l'île, le bois de la Chaise, qui surplombe la plage de l’Anse rouge et la plage des Dames, offre en effet une vue de carte postale : plage de sable blond, cabines en bois blanches et bateaux de plaisance colorés sur mer turquoise... Ajouter à cela l’odeur des épines de pins grillées par le soleil, et les vacances peuvent commencer.
L’histoire récente de l’île est très liée aux vacances : au XXe siècle, quand les bains de mer deviennent à la mode, l’île aux mimosas voit défiler les premiers costumes de bain de la Belle Époque. Peu après, la démocratisation des congés payés encourage la construction de campings et l’accueil de colonies de vacances.
Les campings gérés par l’Office national des forêts (ONF) occupent aujourd’hui 10% du territoire forestier et génèrent 80% des revenus de la forêt.
Depuis le sentier côtier qui sillonne entre bruyères roses et arbousiers, quelques trouées dans la végétation permettent d’apercevoir la tour Plantier. Elle est entourée de pins maritimes de 30 mètres de haut et de chênes verts qui se développent dans leur sous-bois.
Cet équilibre pittoresque de formes et de couleur est surveillé : "le pin maritime est fragilisé par le chêne vert qui parvient à se développer sous le pin avec très peu de lumière", explique Guillaume Simon, forestier à l’ONF à Noirmoutier et Pays de Monts.
L’Office a d’ailleurs éclairci quelques parcelles en 2015. "On favorise ainsi la croissance des jeunes pins en leur donnant de l’espace et de la lumière", continue-t-il. Observé depuis les années 80 sur l’île, le dépérissement des pins maritimes est aujourd’hui maîtrisé.
Une forêt très jeune...
L’odeur de résine rencontre cette fois-ci les embruns iodés de l’océan. On quitte l’esprit du Midi pour celui des Landes en entrant dans le bois des Éloux, sur la côte ouest de l'île entre les villages de l'Épine et de la Guérinière. Au Pé de l’Herse, point culminant de l’île (du haut de ses 26 mètres) un hameau a été enseveli par la dune il y a 150 ans.
À l’exception du bois de la Chaise et de son sol gréseux sur laquelle une forêt de chênes verts est connue depuis au moins le XVe siècle, le boisement de l’île date du XIXe siècle. "C’est une forêt très jeune, d’un siècle tout au plus, et c’est seulement la deuxième génération d’arbres", affirme Guillaume Simon devant une parcelle en forêt "mosaïque" au cœur du bois des Éloux.
La catastrophe de l’ensevelissement du hameau des Éloux
Dans les extraits du répertoire des catastrophes survenues dans l'île de Noirmoutier, cette lettre au préfet du secrétaire général en 1814 indique ceci : "Monsieur le Préfet, des malheurs menacent l’île de Noirmoutier (…) Déjà, les sables y ont frappé de stérilité à peu près mille hectares du sol le plus fertile ; le mal augmente d’année en année d’une manière effrayante, des maisons que j’ai vu habitées, un moulin que j’ai vu tourner sont actuellement engloutis sous les sables". La dune de Noirmoutier se déplace alors de 20 mètres par an ! C’est pour endiguer ce mal qu’en 1858, les Ponts et Chaussées entreprennent les travaux de fixation des dunes, poursuivis à partir de 1862 par les Eaux et Forêts, ancêtre de l’ONF. Les habitants sont alors recrutés pour la plantation de pins maritimes et rémunérés en pommes de pins et petits bois de chauffage. Après un demi-siècle de travaux, la dune est stabilisée.
Découvrez l'interview de Guillaume Simon, technicien forestier de l'ONF, pour Sud Radio
C’est aussi une forêt très dynamique. "C’est comme si tout se passait en accéléré", s’enthousiasme Guillaume Simon, notamment à propos de la "pédogénèse" de la forêt. C'est la transformation chimique du sol de la forêt.
En effet, plantée sur un sol sableux et pauvre, la forêt de pins, en perdant ses premières épines, a enrichi le sol. Ainsi transformé, le sol est devenu plus accueillant pour de nouvelles espèces, notamment des feuillus, qui l’enrichissent à leur tour. "On ne sait pas d’ailleurs comment elle va évoluer dans les années à venir, notamment avec le changement climatique : c’est passionnant !" s’exclame Guillaume Simon.
Le génie écologique pour la conquête dunaire
En descendant vers la plage, une brèche dans la dune forme une langue sableuse, délimitée de part et d’autre par des ganivelles. Ces installations en bois protègent la dune de l’érosion naturelle et du passage du tourisme important sur l’île.
"Les deux tiers de l’île se situent sous le niveau de la mer. La dune est un rempart naturel contre la submersion marine", commente le forestier. Si la dune a parfois reculé de 100 mètres en 50 ans, les mesures de conservation du maintien dunaire fonctionnent.
Sur la plage des Éloux, des pilotis de bois, censés piéger le sable, sont aujourd’hui entièrement recouverts. "Il faut rester modeste", commente Guillaume Simon avant de continuer : "une tempête hivernale peut faire disparaître 5 ans d’efforts". En plus des installations de génie écologique, l’ONF surveille de près l’ensemble du milieu dunaire, situé entre l’océan et la forêt, qui fonctionne en écosystème.
Au pays des merveilles dunaires
D’abord, juste derrière la plage, on trouve la dune blanche. Souvent bombée, elle est composée d’oyats. Ce sont des plantes qui ondulent au vent et piègent le sable volant. Ils aident à fixer la dune grâce à leurs racines très longues.
Derrière la dune blanche, la dune "grise". A priori nue et sèche, elle abrite en réalité jusqu'à 70 espèces de plantes, "contre seulement 4 ou 5 en haut de plage", précise le forestier. Raisins de mer, immortelles, œillets de France (fleur protégée au niveau national), mousses ou encore lichens sont présents sur la dune grise. Ce sont les lichens par leur couleur gris bleuâtre qui lui donnent son nom.
En première ligne des conditions hostiles exercées par l’océan (embruns salés, soleil, vent, etc.), les espèces de la dune grise ont dû s’adapter : nanisme, développement d’épines, tissus de réserves ou encore floraison précoce dès février. C’est le cas de l'omphalodes du littoral, protégée au niveau international, vis-à-vis de laquelle l’ONF a une responsabilité particulière.
Quelques arbres pionniers au port dit "en fanion" semblent couchés par le vent. "Ce n’est pas le vent qui courbe directement les végétations le long de la côte comme on pourrait le penser, mais bien le soleil et les embruns, qui brûlent les bourgeons face à la mer et qui obligent la plante à se développer du côté de sa face abritée", assure-t-il. Enfin, dernière ligne avant l’ombre de la pinède : les cyprès. Plus adaptés aux contraintes de l’océan, ils constituent le "rideau brise-vent" qui protège la forêt.
Le coin préféré du forestier en images
C'est la dune grise de la pointe de la Fosse. Visible depuis le pont, on paraît plonger sur ses cimes : le bois de la Barbâtre avec ses 200 hectares est le plus grand bois de l’île. Direction la pointe de la Fosse pour découvrir le coin préféré du forestier : la dune grise face au goulet de la Fromentine.
D’abord, c’est un endroit qui se mérite : un peu caché, on y vient à pied et on est plus éloigné des habitations. C’est aussi un laboratoire à ciel ouvert. On peut se former aux dynamiques dunaires en venant ici régulièrement. En 5 ans, j’ai vu énormément de différences. C’est d’autant plus plaisant à regarder, qu’ici, la végétation avance vers la mer, alors que la tendance mondiale est au recul des côtes.