Compiègne, forêt aux deux visages
C'est une forêt majestueuse aux portes de la ville. Littéralement. À Compiègne, ville royale et impériale, la forêt commence derrière le château néoclassique. La forêt domaniale de Compiègne est la troisième par la taille après Orléans et Fontainebleau. Comme ses deux grandes sœurs, elle reste très imprégnée de son passé prestigieux.
Sa proximité avec Paris (80 kilomètres) et son immensité en ont fait très tôt un lieu de villégiature apprécié. Percée de sentiers dès l'époque de François Ier pour les besoins de la chasse, plantée de robustes chênes sous Louis XIV, balisée et bâtie encore par leurs successeurs, Compiègne est l'archétype de la forêt royale. De là, les pavillons, chapelles et autres monuments qui se découvrent au fil des promenades.
C'est là aussi que furent signés les armistices du 11 novembre 1918 et du 22 juin 1940. Compiègne est sillonnée par mille kilomètres de routes et chemins. Ils s'organisent autour des célèbres carrefours en étoile, imaginés sous Louis XIV pour suivre les avancées du gibier.
Les vieux chênes et hêtres font aussi la renommée de cette forêt. Dans le secteur des Beaux-Monts, les impressionnantes futaies cathédrales de chênes ont plus de 400 ans ! Plantés par les moines de la chapelle Saint-Corneille en 1547 sur une centaine d’hectares, ils font l’objet d’une protection et d'une gestion sylvicole spécifique par des générations de forestiers
Compiègne fournit aujourd'hui un quart de la production régionale en hêtre (41%, l'essence dominante), chêne (27%) et charme (9%). Les chênes de la meilleure qualité partent en tonnellerie, secteur où la France est leader mondial. Et une dizaine ont été sélectionnés pour la restauration de la flèche de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
La forêt des impératrices
Restauré entre 2017 et 2020, le berceau de l'Impératrice est l'une des points d'attractions majeurs. Cette voûte métallique était au départ habillée de plantes grimpantes. Elle devait permettre à Marie-Louise, épouse de Napoléon 1er, d'aller du château à la forêt à l'abri des regards indiscrets. La restauration à l’identique a bénéficié du soutien de nombreux partenaires et mécènes (Fondation Crédit Agricole, Conseil départemental de l'Oise) dont le programme européen EXPERIENCE*.
L'empereur corse a également fait abattre pour son épouse les arbres situés à l'arrière du château jusqu'à la butte des Beaux-Monts. Long de quatre kilomètres, large de 60 mètres, le Grand Parc, allée menant à la colline et offrant une incroyable perspective, abrite une prairie riche en flore et en faune d'intérêt patrimonial. Elle fait d'ailleurs partie du réseau Natura 2000 et bénéficie d'une gestion spécifique en faveur de la préservation de sa biodiversité exceptionnelle.
*EXPERIENCE est un projet de 23,3 millions d'euros cofinancé par le Fonds européen de développement régional (FEDER), à hauteur de 16 millions d'euros, dans le cadre de l'Interreg VA France (Channel) England Programme 2014-2020 (fin du projet en 2023). Le Conseil du comté de Norfolk est le partenaire principal, travaillant avec 13 autres organisations dans 6 régions pilotes en France et en Angleterre.
Compiègne est plus encore associée à Eugénie de Montijo, la femme de Napoléon III. Une route porte son nom. Elle relie le château de Compiègne à celui de Pierrefonds, en traversant de nombreux sites touristiques dont le charmant village de Vieux-Moulin. Eugénie est aussi à l'origine d'un joli pavillon de chasse situé tout près des étangs Saint-Pierre, à l'est de la forêt. Durant l'été 2022, des travaux cofinancés par des fonds européens ont été entrepris pour améliorer l'accueil sur ce site fréquenté.
De la biodiversité au-delà des sentiers battus
Il faut quitter de quelques pas les grandes allées rectilignes pour explorer la biodiversité de Compiègne. Le premier arrêt se fait dans la réserve biologique dirigée des Beaux-Monts, au bout de l'avenue du même nom. Soit une centaine d'hectares constitués essentiellement de vieux hêtres et chênes de 400 ans. "Les vieux bois abritent une grande biodiversité, avec certaines espèces qui leur sont vraiment propres", explique Julien Lefevre, technicien forestier spécialisé en environnement à l'Office national des forêts (ONF).
C'est le domaine du dicrane vert, une mousse protégée, d'oiseaux protégés (pic noir, pic mar), d'insectes (taupin violacé, pique-prune) et d'une vingtaine d'espèces de chauve-souris. Certaines anciennes maisons forestières accueillent désormais ces mammifères volants ! Le sentier du Pic mar, boucle de 1,5 kilomètre agrémentée de 9 pupitres pédagogiques, vous permet de découvrir en famille toute la richesse de ce site. Son départ se fait au carrefour du Tréan.
L'ouest et le sud-ouest du massif méritent aussi une balade. À la différence du reste de la forêt, ici l'argile et le limon permettent la présence de sources, rus (ruisseaux) et zones humides. La forêt compte 100 kilomètres de ruisseaux et 40 hectares d'étangs. Sans oublier son réseau de 250 mares, qui fait l'objet de toutes les attentions. Elles sont restaurées avec des établissements scolaires et en partenariat avec des institutions et associations naturalistes.
Au départ de la maison forestière du Vivier Corax, le sentier de la Rainette permet de découvrir le cycle naturel d'évolution d'une mare en forêt. On y découvre une mare ouverte, une autre semi-ouverte puis une dernière complètement fermée par les saules et espèces typiques de ces milieux humides. Dans l'air virevoltent de nombreuses libellules, comme la grande anax imperator, aux reflets bleus-verts et les frêles calopteryx.
Dans l'eau, l'utriculaire commune dissimule sous ses fleurs jaunes des centaines de pièges sous-marins qui attrapent végétaux et animaux. Un livret pédagogique "A la découverte des richesses du Vivier Corax" destiné aux enfants, est disponible à l'office du tourisme de Compiègne.
Le coin préféré du forestier
©Elodie de Vreyer / ONFLa forêt est également parcourue de rus et de ruisseaux. Ceux de Berne, des Planchettes et du Goderu sont enjambés par de nombreux ponceaux régulièrement entretenus. Ces ponts de pierre anciens font l'objet de toutes les attentions, grâce à un programme d'entretien mené conjointement avec l'association Sauvegarde du patrimoine des forêts du Compiégnois (SPFC). Des travaux ont permis de restaurer la continuité écologique entre les rus et leurs confluents, l'Oise et l'Aisne, pour faciliter les déplacements et la reproduction des poissons. On trouve notamment des frayères (lieux de reproduction) à brochets en aval de ces rus.
Une lande au cœur de la forêt
À l'ouest de la forêt, près de la Croix Saint-Ouen, c'est un autre paysage surprenant qui s'offre aux visiteurs. Cernée d'arbres, c'est une vaste lande sableuse peuplée de callunes (fausse bruyère). Un paradis pour les mantes religieuses, serpents et autres lézards. Un vestige du passé que les forestiers entretiennent en luttant contre l'envahissement des bouleaux et fougères qui y poussent spontanément. "Historiquement, explique Julien Lefevre, la forêt était beaucoup plus ouverte, avec de nombreux pâturages et landes comme celles-ci. Avec les difficultés du renouvellement forestier, peut-être que ces milieux ouverts vont redevenir plus courants."
Une forêt très vulnérable
Aujourd'hui en effet, les chercheurs sont au chevet de la forêt de Compiègne. Montée des températures, baisse des précipitations : 40% de la forêt sont jugés très vulnérables au dérèglement climatique. Cela concerne les parcelles situées sur des sols sableux qui ne retiennent pas l'eau. Celles aussi où les arbres sont vieux, donc plus fragiles. Ces mauvaises conditions empêchent par ailleurs la bonne régénération : durant les vingt dernières années, 40% des semis naturels et 50% des plantations sont morts, faute d'eau.
A cela s'ajoutent les grands animaux (cerfs, chevreuils) qui mangent les jeunes pousses. Dans ce contexte difficile, la chasse est une nécessité pour permettre le renouvellement de la forêt. Les forestiers sont également confrontés à la prolifération des hannetons. Leurs larves dévorent les racines et les adultes consomment les feuilles.
Pour combattre ces maux, la forêt devient un territoire d'expérimentation. La diversité des essences et des modes de gestion est le maître-mot pour réussir une forêt plus résiliente : la forêt-mosaïque. "Nous ne pouvons pas compter seulement sur l'adaptation génétique des plantes car elle prend du temps, explique Julien Lefevre. Alors nous avons planté durant l'hiver 2021 une dizaine d'espèces plus méridionales."
Les forestiers se sont aussi découvert un allié inattendu avec le cerisier tardif, espèce invasive longtemps combattue. "Il semble que finalement, il procure une ombre favorable à la pousse de certaines essences. Nous faisons des tests avec notre département Recherche développement et innovation."
Il arrive aussi que certains sites soient reconvertis en raison de leur intérêt écologique. Ainsi le long de l'Oise, une parcelle d'épicéas ravagée par les scolytes (insectes) a été restaurée en prairie humide avec des fonds du conseil départemental de l’Oise et du Plan France relance Biodiversité. Un paradis pour les orchidées et de nombreux insectes.
En pratique
- Public
La forêt de Compiègne est accessible à tous les publics. Elle dispose d'une centaine de kilomètres de sentiers balisés (GR©, GR© de pays, circuits divers sur la carte IGN 2511 OT). Sept pistes cyclables la traversent, du nord au sud et de l'ouest à l'est. Une partie de la forêt est également accessible aux cavaliers.
- Accès
Depuis Compiègne et les différents villages situés dans la forêt.
- Services
L'Office du tourisme de Compiègne propose des sorties et activités en forêt, dont le fameux brame du cerf en septembre-octobre.
Le Pôle équestre du Compiégnois propose des balades à cheval à travers la forêt.
En face de l'Etang Saint-Pierre, le Grimp'à l'arb propose 12 parcours d'accrobranche.
- Le saviez-vous ?
A Compiègne, les panneaux directionnels posés aux carrefours sont aussi ornés d'un point rouge : depuis Napoléon III, ils indiquent la direction du château.